AU RYTHME DES EAUX DU NIGER
Le fleuve Niger, parti des hauteurs de la Guinée, traverse le Mali le long d’une courbe de 1700 km. Les eaux du fleuve constituent une artère de vie au sud du Sahara pour des millions de pêcheurs, éleveurs et agriculteurs de la moitié méridionale aride du pays.
Des villes importantes se sont développées en bordure du fleuve, dont Bamako la colorée et trépidante capitale, Ségou, centre de l’Empire Bambara aux 17 e et 18 e, devenue plaque tournante du commerce (coton, beurre de karité), Djenné, qui a su conserver le charme d’une ville d’exception avec sa célèbre mosquée et le mythique centre de Tombouctou.

Fleuve Niger et les limites nationales - Wikipédia
Entre Bamako et Gao, sur près de 1 000 km, aucun pont ne franchit le fleuve, dont la largeur moyenne est de 2 km. Dès lors, les habitants n’ont pas d’autre choix que d’emprunter une embarcation (pirogue ou « pinasse ») pour passer d’une rive à l’autre.
Entre Djenné et Tombouctou le fleuve se divise en plusieurs bras, qui composent un milieu écologique et humain exceptionnel, dénommé « delta intérieur du Niger », réseau de lacs et de plaines inondables aux dimensions de la Suisse. Les berges sont ornées de villages en « banco » réunissant des familles de petits agriculteurs et de pêcheurs, ainsi que des campements de nomades venus avec leurs troupeaux du Sud saharien, pays des Maures et des Touaregs.
.jpg)
Les marchés hebdomadaires permettent aux différentes communautés de se retrouver et d’échanger. Le paysage se transforme au rythme des saisons. Alors qu’en période de crues la zone est inondée et difficilement accessible, lors de la décrue apparaissent des lacs et des marais valorisés par les pêcheurs Bozo, et de grandes étendues de plantes fourragères (bourgou), qui attirent pasteurs et bétail de tout le Sahel.
Les photos présentées dans cette section ont été prises le long du fleuve au Mali, au cours de plusieurs séjours entre 2011 et 2013, un pays que j’avais visité une trentaine d’années auparavant. L’accroissement de la population et l’extension des villes étaient impressionnants mais, dans les zones rurales sahéliennes, les modes de vie traditionnels des différentes ethnies semblaient persister. A première vue se profilaient les signes d’une prospérité rêvée d’une terre sahélienne productrice (riziculture, mil-sorgho, arachide, maraîchage, élevage) après les grandes sécheresses du début des années ’70 et ‘80.
Pourtant, plusieurs signes laissaient déjà entrevoir que les équilibres qui avaient prévalu pendant des générations étaient sérieusement menacés.
Dans le « delta », par l’avancée du désert, par la raréfaction et la pollution de l’eau du fleuve et la nette diminution des poissons, la gestion alternée des ressources basées sur les rythmes naturels qui avaient réglé la coexistence relativement pacifique entre les centaines de milliers de pêcheurs, éleveurs et agriculteurs devenait plus conflictuelle.
Par ailleurs, la poussée djihadiste laissait déjà percevoir dans cette zone un climat de peur et de méfiance et s’accompagnait d’un recul de la présence des services de base de l’Etat (santé, éducation, sécurité). Dans certaines zones, les islamistes radicaux avaient imposé peu à peu leur loi en rejetant l’Etat, en secouant les hiérarchies établies et les privilèges existants (p. ex. le paiement de redevances pour accéder aux pâturages) et en renforçant la position de chefs méfiants vis-à-vis de l’école « à l’occidentale » et de l’émancipation des femmes.
Une image forte du fleuve me reste gravée en mémoire. Une grande pirogue à moteur dans laquelle s’entassent une trentaine de jeunes garçons atterrés navigue vers le nord du Mali, sous la surveillance de deux hommes adultes qui à la vue de mon appareil m’interdisent par des gestes coléreux de prendre une photo.
Le collègue malien qui m’accompagne m’explique que des familles pauvres du sud, ne pouvant nourrir tous leurs enfants, confient certains à des éducateurs islamistes qui les emmènent par le fleuve à des centaines de kilomètres, dans des internats d’écoles coraniques.
Dans cette section de photos la quiétude et l’amabilité des personnes rencontrées, les eaux calmes du fleuve, la mélancolie du paysage, la simplicité des activités quotidiennes donnent encore une image de vie paisible, sans laisser apparaître les transformations sociales et écologiques qui couvent, annonciatrices de violence et de profonds changements.
