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Le Léman, son pêcheur et la vie sauvage
Le Léman
Les Alpes et le Jura croisent fièrement leurs bras autour du lac le plus grand d’Europe occidentale. « Ce ne fût point fiction, si Rousseau choisit cet endroit pour le peupler d’affections » écrit Lord Byron (Clair et placide Léman - 1817). Depuis le milieu du XXème siècle, ses deux rives se sont fortement urbanisées mais la vaste étendue d’eau entourée de vignobles et de cimes enneigées invite encore à la douceur et sa courbure, en croissant, reste gracieuse. Tout parait agencé pour multiplier les jeux de lumière et des vents. Sur la côte suisse les terrasses des vignobles de La Côte et du Lavaux se superposent en escalier bordé de murets jusqu’au sommet des pentes.
Le Léman partagé entre la Suisse et la France s’étend sur une surface de 580 km2 (longueur de 72,3 km), sa profondeur atteignant 310 m. Le temps de renouvellement de ses eaux par le Rhône et une quarantaine de rivières est estimé à 12 ans.
Le pêcheur
La présente série de photos ont été faites dans la zone de Lavaux dite du « haut Lac » et trouvent leur origine dans un heureux hasard et l’épanouissement d’une amitié.
Lors d’une journée de 2011, P-A Monbaron rentrait avec sa barque au port de pêche de Cully alors que je me promenais appareil photo en main guettant les oiseaux d’eau. Nous avons échangé quelques mots, le pêcheur a répondu aimablement à mes questions et quand je lui ai soudain demandé sans préméditation s’il accepterait que je monte un jour l’accompagner sur sa barque, il a répondu brièvement « pourquoi pas demain si vous voulez, je pars à six heures». Au cours d’une douzaine d’années, cette première sortie matinale fût suivie en toute saison de nombreuses autres.
Monbaron m’a invité à l’accompagner dans ses activités : « tu devrais venir lorsque je pose les « pics » (type de filets), c’est tout autre chose! », « pourquoi ne viens-tu pas au cabanon quand je fume les féras aux herbes? ».
Devenus amis, Monbaron me dit un jour « tu sais, les gens qui ont demandé de m’accompagner, ne sont pas rares, mais, le jour convenu à 6 h du matin fort peu étaient présents !».
Rapidement j’ai appris à connaître l’entourage familial de Monbaron, à découvrir ses liens avec le village, à comprendre et admirer son art de vivre. Pleinement concentré sur son activité artisanale, faisant partie du monde local tout en restant discret, juste un pas de côté, ouvert sur l’ailleurs. Avec une prédilection pour le Cameroun d’où sont originaires son épouse Clémentine et ses belles-filles Christelle et Nadine et où il aime les accompagner. Son ouverture au monde se reflète en outre par sa passion pour la musique de jazz et sa précieuse collection de disques vinyle dont profitent ses amis venus partager une partie de pétanque devant son cabanon.
« Je suis très attaché à ma barque de pêche âgée de 70 ans, c’est mon principal instrument de travail mais c’est plus que cela, c’est fusionnel ! » et Monbaron de rajouter « J’ai toujours aimé les bateaux, mon père était pêcheur sur le Léman ; en 1962, à mes quinze ans j’ai commencé à travailler avec lui, j’ai repris la pêcherie à son décès et c’est resté mon activité principale toute ma vie à part deux intermèdes ; en effet, de 19 à 21 ans j’ai sillonné les mers en travaillant sur un bateau cargo d’une Cie suisse et, en 1980, une mauvaise année pour la pêche, j’ai travaillé quelques mois sur un chantier naval pour compléter mes revenus ; en fait, aujourd’hui je compte 60 ans de travail sur le Léman lié aux bateaux ! ».
Le projet de monter au village de Cully une première exposition de photographies sur « le pêcheur et son environnement » a renforcé nos liens. L’idée fût partagée lors d’une assemblée de l’Association des Vignerons début 2013 qui décida la mise à disposition de son caveau. L’affichage des photos s’est effectué du 25 avril au 7 septembre 2013 en deux lieux du village. Dans le Caveau sous le titre « Le regard du pêcheur » et dans le magasin de la Pêcherie de Lavaux sous le titre « filets du Léman ».
La faune sauvage
Si l’aquafaune du Léman est très diversifiée, elle a ces douze années, dans la zone du Lavaux, subi une sensible évolution. Le changement climatique est certainement un facteur déterminant. A titre d’exemple, les mouettes rieuses emblématiques du Léman ont pratiquement disparu de la zone alors que goëlands et cormorans d’origine maritime sont toujours plus nombreux ; le harle bièvre hivernant en provenance du nord de l’Europe s’est raréfié; les moules quagga envahissent plus seulement les pontons mais s’étendent sur les sédiments ; l’omble chevalier est plus difficile à saisir que par le passé pour le pêcheur professionnel avec des filets de fonds. Monbaron exprime ces changements à sa manière « j’observe ces dernières années une variation plus accentuée de certaines populations de poisson et d’oiseau sans savoir ce que cela nous réserve, la météo est plus contrastée, les vents beaucoup plus violents, reste à savoir comment nous allons nous adapter ! ».
Les informations communiquées ci-après sur les poissons et les oiseaux concernent les observations faites entre 2011 et 2022 et se limitent à la zone réduite du Léman où j’ai navigué avec le pêcheur.
Les poissons du Léman
Le Léman est particulièrement productif puisque le tonnage de poisson sauvage capturé par les pêcheurs professionnels suisses et français s’est élevé, en 2022, à près de 620 tonnes (info Commission internationale de la pêche). Un accord franco-suisse et son règlement d’application fixent les règles de pêche et de protection des poissons du Léman.
P-A Monbaron était en 2022, l’un des 63 pêcheurs professionnels agréés du côté suisse (sur 142 km de berges suisses) pour un total de 117 pêcheurs sur l’ensemble du lac.
Aujourd’hui, 32 espèces de poissons habitent le Léman dont 21 d’origine ou acclimatées et 11 introduites volontairement ou accidentellement (info Musée du Léman)
Les espèces les plus souvent pêchées par le pêcheur Monbaron dans la zone du Lavaux (Villette-Cully-Désaley) sont au nombre de cinq :

La perche (Perca fluviatilis)
Espèce de loin la plus pêchée dans le Léman et la plus appréciée sur la terrasse des restaurants: constitue près de 70% du poids des poissons pêchés par les professionnels
La perche dans son assiette est très apprécié à la façon meunière
Poisson carnassier vivant en banc près du fond. Taille varie entre 15 à 40 cm.
Depuis 2020, à titre expérimental, la pêche est ouverte aux professionnels toute l’année, ceci dans le but de mieux étudier l’évolution de la fraie.

extraction des filets de perches
La féra (Corégonus sp.)
Seconde espèce la plus pêchée : représente 25% du poids des captures.
Chair tendre d’un goût discret.
De la famille des Corégones introduit à partir de la « palée » ou « bondelle » du lac de Neuchâtel. Appelé encore faussement féra, poisson qui a disparu du Léman à la fin des années ‘40.
Poisson du large se nourrissant surtout de zooplancton. Mesure jusqu’à 60 cm
Pêche ouverte de mi-janvier au 1er octobre

fumage à chaud des corégones - féras
Le brochet (Esox lucius)
Troisième espèce capturée ne représente en poids qu’environ 4 % des poissons pêchés
Apprécié pour sa chair goûteuse, se déguste souvent en émincé.
Le plus grand poisson présent naturellement dans le Léman et pouvant vivre très vieux.
Poisson carnassier se nourrissant des autres espèces de poisson.
Le gros de la pêche se concentre entre mai et début du printemps suivant, exécutée au filet plutôt proche des rives

regard perçant du brochet sur ses proies
L'omble chevalier (Salvelinus alpinus)
Quatrième espèce pêchée par les professionnels dans le Léman
Un des poissons les plus prisés, chair rose et savoureuse
De la famille des salmonidés. Petit il vit en groupe avant de devenir solitaire.
Jeune se nourrit de larves, insectes, végétaux ; adulte devient essentiellement piscivore et vit en plein lac mais poursuit sa chasse jusqu’au littoral.
Pêché avec des filets de fonds principalement en été.

Omble chevalier
La truite (Salmo trutta).
En importance, la truite est la cinquième des espèces pêchées dans le Léman
Poisson carnassier dont la chair devient saumonée lorsque des crustacés forment une part importante de sa nourriture. « Petit cousin du saumon » dit Monbaron.
Prédateur à la nage rapide, elle vit en plein lac parfois en grande profondeur. Aime les eaux fraîches et bien oxygénées.

truite lacustre
Les oiseaux familiers du pêcheur
Les oiseaux constituent la manifestation de vie sauvage la plus apparente du Léman. Si les mouettes-rieuses, les cygnes et les canards colverts restent bien connus, peu de riverains soupçonnent la grande diversité ornithologique qui fréquente le Léman au travers des saisons. Les ornithologues distinguent, en fonction du type de séjour, trois catégories : les oiseaux nicheurs (une quinzaine d’espèces), les migrateurs (visiteurs traversant l’Europe faisant escale pour se reposer et se restaurer) et les hivernants (jusqu’à 35 espèces choisissant les rives comme zone d’hivernage pour leurs ressources alimentaires en moules et en poissons blancs et pour la protection que leur assure l’interdiction de chasse).
L’effectif des espèces qui fréquentent le lac est très variable d’une année à l’autre. On constate, en effet, une évolution des effectifs en raison de l’« extraordinaire mobilité des oiseaux sauvages qui leur permet d’intégrer rapidement les modifications – favorable ou défavorables – intervenues dans leur environnement » (J-M Mitterer)
Dès la fin des années 2010, la croissance des espèces piscivores fût notable, en particulier celle du nombre de goélands et de cormorans.
Pour les grèbes et canards qui ont tenu compagnie à Monbaron au cours de la douzaine d’années que couvrent ce reportage photographique, sept espèces furent dominantes :
Grèbe huppé (Podiceps cristatus)
Espèce très présente sur les grands lacs d’Europe dont le Léman.
Environ 5'000 couples nichent en Suisse, env. 30'000 individus hivernants.
Se nourrit de mollusques, de petits poissons blancs, de crustacés et d’insectes

♀ & ♂
Grèbe castagneux (Tachybaptus rufficollis)
Le plus petit des grèbes, semblable à un caneton, vit le plus souvent caché.
Environ 700 couples nichent en Suisse, quelques 3'000 individus hivernants.
Se nourrit d’insectes, mollusques, crustacés et de petits poissons.

Canard colvert (Anas platyrhynchos)
Canard sauvage le plus commun. 15'000 couples nicheurs en Suisse rejoints d’automne au printemps par migrants provenants du nord et est de l’Europe.
Nourriture aussi végétale qu’animale (larves, crustacés).

♀
Canard chipeau (Anas strepera)
En petit nombre sur le Léman, rare nicheur. Hivernant originaire d’Eurasie tempérée
Se nourrit surtout de plantes aquatiques.

♂
Nette rousse Pochard (Netta rufina)
Effectif en nette augmentation dans les années ’90 grâce à la meilleure qualité des eaux du Léman; originaire d’Asie centrale, migre d’est en ouest
Se nourrit de plantes aquatiques (algues characées)

Fuligule morillon (aythya fuligula)
Hôte d’hiver sur le Léman, originaire de l’Europe de l’Est sa population s’étend vers l’Ouest.
Ce canard plongeur se nourrit d’algues et est très friand des moules zébrées et quaggas qui prolifèrent depuis peu dans les eaux du Léman

♂
Foulque macroule (Fulica atra)
Foulque nicheur d’Eurasie qui s’est répandu entre autres sur le Léman.
Omnivore, s’adapte aux ressources disponibles : en été nourriture végétale qui fait place aux moules en saison plus froide

Sources :
-
J-M Mitterer, le Léman et les oiseaux, Archs Sci. Genève, vol. 51, 1998
-
Les oiseaux du lac, miniguide éd. La salamandre, 2016
-
Les laridés, miniguide éd. La salamandre, 2016
-
B. Bruderer, S. Jenni, F. Liechti, La migration des oiseaux, Station ornithologique suisse, 2006
-
K. Richartz et A. Puchta, 420 espèces d’oiseaux sauvages d’Europe, 2011, www.rossolis.ch
-
M. Burkhardt, C. Marti, F.Tobler, Guide des oiseaux de Suisse, 1996, vogelwarte.ch
-
F-A Forel, Monographie sur le Léman, Slatkine Genève, 1969
-
J-C Pedroli, B. Zaug, A. Kichhofer, Atlas de distribution des poissons de Suisse, CSCF, 1991
-
D. Masson, les poissons du Léman, Slatkine, Genève 1989
-
Swiss Food Academy, Le Léman et ses poissons, 2020
-
Sauvons le Léman, publications de l’Association pour la sauvegarde du Léman
-
Fiches de détermination des espèces observées dans le Léman, ASL, 2022